THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE

2003


Interprétation Nicolas Bauchau (un messager), Marc Coulon (Étéocle), Jean-Guy Devienne (Polynice), Luc De Meulenaere (un vigneron), Florence Fischer (Ismène), Elise Gäbele (Illyssa), Paul Gérimon (Thésée),   Claudie Graisman (Créon), Jean-Francis Monvoisin (Clios), Ruby Philogene (Calliope), Hanna Schaer (Diotime), Nabil Suliman (le chef du village), Valentina Valente (Antigone), José Van Dam (Œdipe).


Direction musicale

Daniel Callegari

Décor Vincent Lemaire

Costumes  Jorge Jara

Lumières et mise en scène 

Philippe Sireuil











 

Oedipe sur la route

de Pierre BARTHOLOMÉE

  1. photos de Johan Jacobs ©

PUISQU'IL Y A DU PAIN, MANGEONS


« Puisqu'il y a du pain, mangeons. » Tout est là : dans cette frugalité du mot et de l'acte. Il n'y a rien à retrancher, et peu à ajouter.

Les mots d'Henry Bauchau sont simples, à force d'avoir été passés et repassés au travers du tamis de l'exigence du poète, ils sont aussi beauté presque spartiate, et musique. La musique de Pierre Bartholomée, plus complexe de prime abord (du moins pour moi, qui suis loin d'être un musicologue conséquent, et qui ne connaît de la partition que ce que m'en révèle le piano de la salle de répétition), rend puissamment compte de ce trajet de l'homme Œdipe, et qui va de Thèbes vers Athènes : ce vide, à la fois page blanche et trou noir, délaissé par les tragédies de Sophocle et dans lequel le roman s'est construit, au travers du prisme des tenaces obsessions de l'écrivain ; elle ne tait ni la violence qui le traverse, ni la quête d'absolu qui l'irrigue, ni les chants qui l'accompagnent, ni les épreuves Que l'homme Œdipe s’inflige, espérant y découvrir la force sinon le bonheur, du moins la sérénité.

«Puisqu'il y a du pain, mangeons.» Mettre en scène cette œuvre, c'est donc se résoudre à cette évidence, se glisser humblement entre l'interstice de la phrase et de la musique qui la porte, accepter de faire vœu de simplicité, de concision, faire le choix d'une intériorité dynamique. Faire simple donc, non pas au sens où l'on vous y invite parfois sur les antennes aux heures de grande audience pour ne pas ennuyer la ménagère, mais bien avec, comme but premier, le souhait d'aller à l'essentiel, de retrouver l'essence du mot, du geste, et pour qu'il en soit ainsi : préférer l'allusif à l'explicite, le dépouillement au décorum, prendre le parti d'une syntaxe scénique presque primitive, restreindre les actes à l'essentiel qui les anime, demander au décorateur un espace vide (la chose est impossible), au costumier des costumes sans référence (la chose l'est tout autant). Ne pas ruser avec le livret, et dès lors accepter les pérégrinations de la fable, les étapes de la route, qu'il y ait du feu quand il faut du feu, de l'eau quand il faut de l'eau, du pain quand il faut du pain, et même une falaise quand il faut une falaise…

Œdipe est donc sur la route, un chemin ardu parsemé de pièges, d'embûches, d'épreuves et de défis qu'il lui faut vaincre et dépasser pour s'apaiser, et nous, chanteurs et metteur en scène, nous sommes à sa suite. Nous cherchons, avec ténacité et opiniâtreté, à trouver dans les errements de nos essais la clarté passagère d'un instant pour mieux construire le suivant, nous avançons comme lui, « à tâtons ». Parfois, le sentiment d'être dans l'impasse plutôt que sur la route surgit, le doute nous envahit, mais toujours nous reprenons le chemin de l'œuvre et tentons de rejoindre l'âpre concision de l'écrit textuel et musical. Nous n'évitons pas les obstacles (et ils sont nombreux, la route d'Œdipe est parsemée de prodiges), mais cherchons à les franchir avec le plus de grâce possible.

Toujours nous conservons en mémoire notre affirmation première : celle de faire simple.

Rien n'est plus compliqué.

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