Les mots savent pas dire

de Pascal REBETEZ



THEATRE DE POCHE DE GENEVE

2005


Interprétation Pierre Dubez (Béridier), Anne-Catherine Savoy (la mère), Christine Vouilloz (Paule), Roland Vouilloz (Jeannot).


 


Décor   Vincent Lemaire

Costumes Anna Van Bree

Lumières et mise en scène 

Philippe Sireuil


Production

THÉÂTRE DE POCHE

DE GENÈVE









 
  1. photos d’Anouk Schneider ©

Vous souvenez-vous de la première impression que vous a faite la pièce Les mots savent pas dire ? (J’ai eu l’impression d’être face à de la roche, que les mots étaient de la roche, une matière, quelque chose de très brut.)

Ph.S. : J’ai reçu le texte comme un objet singulier : abrupt, dense, étrange. Je n’ai pas eu au départ le sentiment d’avoir lu une pièce, plutôt un rapsodie à deux voix.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de monter ce texte ? L’écriture, la thématique, le défi de mettre en bouche et de faire entendre, comprendre ce texte si singulier… ou peut-être n’est-il pas si singulier pour vous ?

Ph.S. : Avant tout, sa langue. Pascal Rebetez en invente une : drue, naïve, qui fait la part belle à l’artifice et à l’imaginaire, construite dans la chair de l’invention poétique. On est loin du dialogue des téléfilms convenus, des répliques pseudo philosophiques ou des mots d’auteur, de tous ces travers d’une certaine écriture d’aujourd’hui. Mettre en scène, c’est tenter de résoudre le rébus, l’énigme du texte auquel vous êtes confronté. On met en scène un texte  pour apprendre à le comprendre, pour chercher à faire partager aux spectateurs l’émotion, le plaisir, et l’intérêt ressentis à sa lecture.

Les mots savent pas dire ratissent toute une série de thèmes : la mise en question de la religion, les mensonges qu’elle véhicule, la manipulation des gens démunis au niveau social et culturel, la modernité et la technologie contre le monde paysan, etc. Utilisez-vous le texte pour transmettre une certaine critique sociale ou êtes-vous surtout intéressés par la bizarrerie et la psychologie des personnages ?

Ph.S. : Je n’utilise pas le texte, je tente de le mettre en scène : c’est-à-dire en écoute, en geste, en corps, en musique, avec l’aide des acteurs. À chacun d’y prendre ce qu’il souhaite. Chercher à étager la pièce, à en définir ses multiples aspects, conduirait, me semble-t-il, à son affadissement. La mise en scène traverse le texte, comme le navire le fait de l’océan : on ne découvre jamais toute son étendue, ni toutes ses richesses. J’espère simplement que les spectateurs prendront notre sillage.

Qu’est-ce que les mots ne savent-ils pas dire ?

Ph.S. : Notre difficulté à être au monde, à le subir, de notre naissance à notre mort. Jeannot, par ses calligraphies acharnées et prophétiques, sa sœur Paule, dans son refuge auprès des livres, cherchent tous deux comme une issue à leur non-entendement du monde.

Pascal Rebetez me disait que vous aviez eu une collaboration très féconde et que vous aviez notamment suggéré de faire apparaître la mère de Jeannot et de Paule, enterrée dans la maison familiale. Pourquoi ? Que voulez-vous apporter avec cette apparition spectrale ?

Ph.S. : La genèse d’une pièce prend de multiples itinéraires. J’ai effectivement suggéré la présence de la mère, mais je n’en sais plus aujourd’hui ni la raison, ni la signification. Tout ne « signifie » pas tout le temps.

Faire ressurgir la mère, c’est aussi décider ne pas traiter de manière réaliste ce texte ? Ou peut-être pensez-vous créer une tension entre l’univers cloîtré du frère et de la sœur, qui serait mystérieux, hors du monde, et celui de Béridier, l’amoureux de Paule, représentant du monde « normal » ?

Ph.S. : Qu’est-ce qu’un traitement « réaliste » du texte ? Il faudrait s’entendre une fois pour toutes sur nos définitions. Émile Zola est considéré comme l’un des papes de l’école naturaliste : pourtant, et ce n’est pas un exemple unique, il y a dans Nana, des pages sur l’irruption de la pulsion sexuelle qu’on ne s’attend pas à trouver dans un roman estampillé naturaliste. Méfions-nous des catégories. Plus simplement, je dirai que le théâtre est toujours une transcription poétique du réel, et ce, quels que soient les moyens qu’on utilise pour y parvenir. La transparence naturaliste, « le faire comme si c’était vrai », me laissent, c’est vrai, pantois.

Est-il important, pour vous, de travailler avec des auteurs vivants ?

Ph.S. : « Est contemporain, ce qui me parle encore aujourd’hui ». La phrase figure à l’entrée du MAC’s (Musée des arts contemporains du Grand Hornu en Belgique). Elle résume assez bien mon sentiment. Il y a des auteurs vivants qui ne sont pas mes contemporains et des auteurs morts qui le sont.

     Cette précaution mise à part, il importe évidemment de parler

d’aujourd’hui avec des écritures d’aujourd’hui, et aider à naître est toujours une entreprise passionnante. J’aime les rencontres qu’elle permet.

Comment choisissez-vous les comédiens ? En l’occurrence pour ce projet ?

Ph.S. : Ai-je envie de l’écouter ? Ai-je envie de le regarder ? Ai-je envie de partir à sa découverte ? Si je réponds oui par trois fois à ces questions, j’invite l’acteur à me rejoindre. Le geste est évidemment primordial, car définir une distribution, c’est déterminer votre spectacle à soixante-quinze pour cent.  Je ne sais pas qui est Hamlet, Trigorine, Octave, Ysé, ou Puntila : c’est l’acteur qui me les fait découvrir : sa voix, son corps, son imaginaire.

     Pour ce qui est de Les mots savent pas dire, il me fallait, pour le rôle de Jeannot, un acteur qui puisse pétrir la pâte des mots, et j’ai immédiatement songé à Roland Vouilloz. J’avais déjà travaillé avec lui pour Les guerriers, ici, au Théâtre de Poche, et voulais le retrouver. Christine Vouilloz, sa sœur, je l’avais croisée à l’École du TNS de Strasbourg, et en la retrouvant lors d’une audition, il y a eu, je dirai, comme une évidence dépassant leur lien familial. La figure de la mère a très vite pris les traits d’Anne-Catherine Savoy (avec qui j’avais travaillé  à Lausanne), et j’ai invité Pierre Dubey à l’issue d’un entretien.

Pour les Cahiers du Poche, vous avez rédigé quelques notes sur ce que signifie mettre en scène, pour vous. Il y a à la fois quelque chose de très ludique, dans le fait d’essayer, de chercher, mais il y a aussi la peur. Vous venez de commencer les répétitions. Vous avez encore peur ? C’est quoi la peur d’un metteur en scène ?

Ph.S. : Faire un spectacle, c’est inventer un prototype. Il peut toujours vous péter dans les mains, ou à la figure. Alors, oui ; la crainte, l’appréhension, la peur : comme éléments moteurs de votre dynamique de travail, et non comme des obstacles castrateurs. Le doute, comme boussole, pour ne pas prendre les premiers chemins qui s’offrent à vous.

Pour vous réussir un spectacle, ça veut dire quoi ?

Ph.S. : Trouver l’équilibre entre toutes ses composantes, y compris entre le spectacle et le spectateur, tout en défiant les lois de la gravité artistique.

Pourquoi le théâtre ? Pour changer le monde ?

Ph.S. : « Pour déposer une petite parcelle d’essentiel » comme l’écrit Botho Strauss. Mais il y a de multiples réponses - qui ne s’annulent pas entre elles, qui s’additionnent plutôt - à votre première question. La seconde, elle, me laisse plus que dubitatif.

Le théâtre, c’était un rêve d’enfant ? C’est lié à l’enfance, d’une certaine manière ?

Ph.S. : Non pas un rêve d’enfance, une manière de le prolonger, plutôt. On raconte des histoires, on invente des mondes. Le théâtre est une tribune poétique, sérieuse et ludique.

Est-ce différent de faire du théâtre en Suisse ou en Belgique ? Sentez-vous plus de liberté dans l’un ou l’autre de ces pays ?

Ph.S. : En Belgique francophone, faire le métier de théâtre, et surtout un théâtre lié à la question du texte, est difficile. La langue est un fait identitaire, et tout se passe comme si nous étions toujours à la recherche de la nôtre, nous, Belges francophones. La profession (et particulièrement celle des acteurs) est en voie de paupérisation absolue, le fonctionnement de nos grandes et petites entreprises théâtrales est problématique, du fait de l’étroitesse des subventions ; il y a de plus, comme un rétrécissement des imaginaires qui conduit directeurs et programmateurs à surfer sur les vagues de l’air du temps, de la commercialisation et du succès immédiat. Le Tchekhov qui déclarait : « Le public ? Il a toujours été comme un troupeau : en quête de bons bergers et de bons chiens, et allant toujours là où le menaient les bergers et les chiens » est bien oublié. Je précise qu’il n’en est pas la même chose de l’autre côté de la barrière linguistique.

     Dans votre pays (que je ne connais pas assez pour porter un jugement circonstancié) ce qui me frappe, c’est la disponibilité, l’ouverture et la curiosité du public.

Vous montez également des opéras. Abordez-vous le théâtre et l’opéra de la même façon ? Se nourrissent-ils mutuellement ?

Ph.S. : Non, ce sont deux « métiers » différents. Mais j’ai du plaisir à passer de l’un à l’autre. Le théâtre, c’est mon pays. L’opéra, mes voyages.

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