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LA MAMAN DU PETIT SOLDAT

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Philippe SIREUIL : À la question, quel métier exercez-vous ? Que répondrais-tu : écrivain ou écrivain de théâtre ?

Gilles GRANOUILLET : Je dis écrivain de théâtre, bien que je défende l’écriture théâtrale  comme une branche de la littérature en général. En fait je dis écrivain de théâtre comme je pourrai dire romancier… si je l’étais !

Ph. S : Par quel cheminement es-tu venu à l’écriture ?

G. G. : Le plus simple, le plus convenu, par l’école ! Je viens d’un milieu ouvrier, les livres y avaient peu de place. Au collège puis au lycée j’ai eu la chance de rencontrer des professeurs qui m’ont donné le goût de la littérature comme on met le pied dans un autre monde qui vous concerne et vous parle. J’ai lu pour moi tout seul et j’ai découvert que la littérature n’était pas qu’affaire de sens mais aussi de musique, de rythme, de langue. Une langue appelle un corps et une voix qui la portent, c’est sans doute pour cela que je me sens bien dans le théâtre : savoir qu’après moi les mots vont s’incarner à travers le corps des comédiens ; faire partie d’une chaîne jusqu’au plateau, jusqu’à la rencontre avec le public, en direct. Il faut dire aussi que j’étais un comédien (amateur) très traqueur,  j’avais peur du trou… c'est-à-dire  de perdre les mots… J’ai arrêté pour cesser de me rendre malade. Je suis sans doute un piètre comédien qui se soigne. Mais ce que j’aimais beaucoup dans le travail de répétition c’était de prendre le texte et de me dire : «  qu’est-ce que ça raconte, au « fond ? » Je me pose les mêmes questions en écrivant : Qu’est ce que tu écris, au fond ? » et là c’est parfois  vertigineux : le travail d’écriture commence vraiment. Tout le monde dans le théâtre se pose la même question… s’il fait son métier honnêtement !

Ph. S : Quels sont les éléments qui déclenchent l’écriture d’un texte ?

G. G. : Très souvent un lieu. Où ça se passe exactement, j’ai besoin de voir cela, précisément, pour moi, même si je ne m’en servirai que très peu dans la pièce. Une douleur aussi, j’ai besoin que mes personnages aient mal quelque part, même si ce n’est pas le sujet de la pièce, il leur faut un manque pour qu’ils parlent, à chaque réplique. Pourquoi parler plutôt que de ne rien dire ? Quand tout est bien le silence suffit. Dans mon métier, il vaut mieux que les personnages aient besoin de parler…  Et puis d’une façon plus générale, c’est la colère face au monde tel qu’il va qui me lance sur une pièce plutôt qu’une autre. L’indignation, pour employer un mot à la mode, est un moteur, après, évidement tout cela est transposé, mis à distance, mais la colère, pour moi est un moteur…

Ph. S : La commande par un théâtre ou un metteur en scène est-elle pour toi un stimulus approprié ?

G. G. : J’ai longtemps été frileux avec la commande. Il faut dire qu’elle a l’avantage de permettre à l’auteur de gagner un peu mieux sa vie mais au-delà de ça, pour avoir répondu à une dizaine de  commandes, je me rends compte à posteriori que la contrainte m’a amené dans des endroits d’écriture où je ne serai jamais allé ; alors aujourd’hui je n’ai plus de problème avec les commandes. Pas de posture d’auteur dans une tour d’ivoire ! Et souvenons nous que l’histoire de l’art est remplie de chefs d’œuvre qui ont vu le jour  grâce à des commandes. Si les contraintes ou le projet  me laissent entendre que je n’y trouverai pas ma place je refuse, sinon je fonce !

Ph. S : Ecris-tu à heure fixe seul à un endroit donné ou peux-tu écrire « sur un coin de table » dans un environnement peu propice ?

G. G. : Le matin, avant que les soucis du quotidien ne me bouffent. C’est une règle, une hygiène de vie, même si toute règle a ses exceptions. Il me suffit d’avoir du temps et de quoi écrire, ce peut être n’importe où. Mais contrairement à ce qu’on pourrait croire ce n’est pas une coquetterie que de dire qu’écrire est un acte très physique, à partir de treize heure, stop, je sature… et il me reste que peu d’énergie pour le reste de la journée… Je crois qu’il faut se contraindre à pratiquer, comme un sportif, pour devenir meilleur.

Ph. S : Ecris-tu avec une plume ou un stylo, ou avec une machine à écrire ou un ordinateur ?

G. G. : Je fais le moderne, aujourd’hui et depuis trois ou quatre ans c’est l’ordinateur. Mais  ça n’a pas d’importance, si l’électricité venait à manquer je reviendrai au stylo sans problème !

Ph. S : Tu es aussi, au travers de la compagnie que tu animes, metteur en scène de tes propres pièces. Le regard et l’intérêt critiques que tu portes sur telle ou telle change-t-il une fois l’avoir mise en scène ? T’est-il arrivé de remettre un texte sur le métier après l’avoir mis en scène ?

G. G. : Il y a une «  œuvre littéraire » et un ou des spectacles qui en découlent. Pour moi ce sont des choses bien séparées. Je ne reviens pas sur un texte parce que le spectacle n’était «  pas bon.»  Est-ce vraiment la faute du texte ? A l’inverse, une très belle mise en scène avec d’excellents comédiens peuvent sauver une pièce médiocre (d’ailleurs, je compte sur toi…) A l’usage je me rends  compte que des textes (souvent peu brillants à la lecture) se révèlent   à la scène. Le contraire, là aussi, est vrai, les pensées profondes, flatteuses sur le papier, ne font pas le grand théâtre. L’écriture est avant tout une question d’énergie, c’est là-dessus que le comédien va s’appuyer, c’est le vivant que cherche le spectateur ! Toi,  metteur en scène,  tu le sais aussi !

Ph. S : Quel a été le point de départ de La maman du petit soldat ?

G. G. : Simplement de ramener la guerre, aujourd’hui lointaine sur nos territoires et c’est tant mieux, toute proche... vraiment très proche. . 

Ph. S : Le texte que nous jouerons n’est tout à fait le texte édité, puisque tu as accepté de réécrire certains passages, selon mes questions ou suggestions. Comment as-tu vécu cette reprise de chantier ?

G. G. : À vrai dire je n’étais pas très chaud. Je ne sacralise pas le texte outre mesure : le plateau a souvent raison et je suis prêt à  modifier à l’usage, si nécessaire mais à priori… Et puis je me suis dit que Philippe Sireuil n’était pas tombé de la dernière pluie ! Je me suis même dit qu’il avait peut être raison ! Pas sur tout ! il y a des choses sur lesquelles je ne suis pas revenu, tu le sais bien.

Ph. S : J’ai choisi un acteur pour interpréter le rôle de la mère. Comment réagis-tu à ce propos ?

G. G. : Alors là ! Alors là ! Scandale ! Sérieusement je crois que mettre en scène n’est surtout pas surligner le texte, c’est même parfois le mettre à distance (pas trop quand même…) pour mieux le faire entendre. Tu sais pourquoi tu le fais et depuis le départ, tu as ma confiance.

  1. photos de Ledicia Garcia ©