Juste la fin du monde
de Jean-Luc LAGARCE
Juste la fin du monde
de Jean-Luc LAGARCE
2011
Interprétation
Edwige Baily (Suzanne), Itsik Elbaz (Louis), Thierry Lefèvre (Antoine), Anne-Marie Loop (La mère), Catherine Salée
Vidéo Benoît Gillet
Assistante à la mise en scène Christelle Alexandre
Décor, costumes, lumières et mise en scène
Philippe Sireuil
LA SERVANTE
photos d’AlicePiemme ©
« J’ai près de trente-quatre ans maintenant et c’est à cet âge-là que je mourrai. »
Dès l’abord de la pièce, voilà le spectateur prévenu. Louis, ce jeune homme qui vient de nous parler,
revient dans la demeure maternelle pour dire sa mort prochaine.
Dix ans qu’il est parti, dix longues années durant lesquelles sa mère, sa sœur Suzanne,
son frère Antoine et sa belle-soeur Catherine
ont guetté le facteur et les cartes postales épisodiques qu’il leur adressait au gré de ses pérégrinations.
Et le retour de Louis agit comme une soupape :
trop longtemps tus, cachés ou enfouis, les mots se déversent,
les chagrins se répandent, les regrets se dévident,
les conflits s’exposent et les blessures se remettent à saigner …
Le spectateur sachant d’emblée le sort de Louis, assiste, comme lui,
à ces logorrhées émotionnelles qui ne prendront jamais en compte le revenant,
ni les raisons pour lesquelles il avait laissé les siens hier, ni celles pour lesquelles il les revoit aujourd’hui.
Venu pour dire sa mort, Louis aurait sans doute voulu,
comme l’écrit ailleurs Jean-Luc Lagarce,
dire aux autres, s’avancer dans la lumière
et redire aux autres, une fois encore,
la grâce suspendue de la rencontre,
l'arrêt entre deux êtres, l'instant exact de l'amour,
la douceur infinie de l'apaisement,
tenter de dire à voix basse la pureté parfaite de la Mort à l'œuvre,
le refus de la peur, et le hurlement pourtant,
soudain, de la haine, le cri,
notre panique et notre détresse d'enfant,
et se cacher la tête entre les mains,
et la lassitude des corps après le désir,
la fatigue après la souffrance
et l'épuisement après la terreur,
mais désabusé, exténué,
il n’aura d’autre solution que de se murer
dans le silence, et de repartir sans avoir rien dit.
Après J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne
au Théâtre de l’Ancre en 1998,
après Nous, les héros au Théâtre Varia en 2000,
je reviens vers Jean-Luc Lagarce qui laisse
derrière lui une œuvre majeure, désormais identifiée
comme l’une des écritures les plus aiguës
et les plus bouleversantes du théâtre français d’aujourd’hui.
Juste la fin du monde est une pièce qu’il faut serrer sur soi
comme on le ferait avec une boule de neige,
pour en goûter à la fois la froidure pudique
et les brûlures intimes qui s’en échappent.
Philippe SIREUIL
11 avril 2010