Du bon usage du tic-tac


Le balancier de l’horloge cossue de l’intérieur bourgeois fait finalement à peu près le même bruit que l’aiguille du déclencheur de la bombe à retardement. C’est sans doute là qu’il faut chercher la malignité géniale de la mécanique mise en place par l’artificier qu’est Henrik Ibsen dans sa pièce Hedda Gabler. Sous le vernis du bois marqueté, le tranchant de la pièce de métal. Sous le stuc, les tuyauteries. Sous la paisible apparence, la violence de l’essence. Celle de l’héroïne bien sûr, mais aussi des autres protagonistes. Tous sont animés par des pulsions (désir, mort, passion, réussite, sexe) qui font exploser les bordures qui les relient à la convenance sociale, tous ont des désirs inavouables, ou du moins, inavoués.

Mettre en scène Hedda Gabler revient peut-être à ceci : à préférer la poétique fût-elle toute de noirceur d’un espace imaginaire aux coussins moelleux du canapé du décor naturaliste, à faire péter les convenances et les idées convenues, à envisager les personnages au travers de leurs pulsions intimes plutôt que leurs relations aux autres, à se débarrasser des costumes pour reluquer les dessous, (et même le linge sale qu’il est toujours recommandé de laver en famille).

« L’homme est un abîme, on a le vertige quand on se penche sur lui ». Faire siens les mots de Büchner, et comme Ibsen nous y invite, regarder au-delà du parapet. Considérer l’écrivain scandinave par les deux bouts de la lorgnette : à la fois insecte et entomologiste, poseur de bombes et démineur. Fréquenter, avec lui, Wedekind plutôt que Becque. Ne pas dédaigner Labiche. Prendre le rôle d’Hedda pour ce qu’il est : une figure tragique, certes, mais aussi une jeune femme aux rêves de littérature de gare. Ne pas la diaboliser, mais ne rien lui pardonner. Songer à American Beauty plutôt qu’à Une femme française.


Philippe SIREUIL

22.03.2001

 

Hedda Gabler

d’Henrik IBSEN



ATELIER THÉÂTRE JEAN VILAR

2002

 

Interprétation  André Baeyens (Lovbörg), Anne Chappuis (Tante Julie), Anne Claire (Théa), Nathalie Cornet (Hedda Tesman), Patrick Descamps (le conseiller Brack), Monique Fluzin (la bonne), Francesco Mormino (Jörgen Tesman).

Traduction Michel Vittoz

Décor Vincent Lemaire

Costumes  Catherine Somers

Lumières et mise en scène  Philippe Sireuil

Production

ATELIER THÉÂTRE JEAN VILAR








 
  1. photos de Véronique Vercheval ©

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