“Tout ce que je dois faire c'est pousser des noms dans ce qui est là pareil que quand je pousse mon couteau dans le ventre d'une poule.”
Jeune Femme parle ainsi, Jeune Femme cherche à donner un nom à chaque chose, à déchiffrer le monde, à le comprendre, et ainsi, échapper à l’ignorance du village où elle travaille et vit. Plus tard, Jeune Femme cherchera à l’écrire, ce monde, mot juste après mot juste, et l’encre du stylo maculera ses mains qu’elle devra cacher. Plus tard, le sang fera pareil et elle, fera de même.
Jeune Femme est le centre du triangle qu’elle forme avec son mari, le laboureur, Petit-Cheval William, et le meunier, Gilbert. Rugosité violente de l’un, malignité maléfique de l’autre ; aboiements du premier, rires du second ; et allers-retours de Jeune Femme entre les deux hommes, entre ciel et boue, entre peur et courage, entre ferme et moulin, jusqu’à l’accomplissement de l’adultère, l’acceptation du mensonge, et le désir du meurtre.
La pièce, c’est l’histoire d’un apprentissage, d’une découverte, d’une métamorphose, d’une naissance : apprentissage de la conscience, découverte du langage et de son corollaire le mensonge, métamorphose d’un esprit, naissance d’une femme.
Des couteaux dans les poules prend pour cadre, un milieu rural où règnent des superstitions d’un autre temps (mais on semble être en Écosse aujourd’hui); pour personnages, le triangle coutumier (peint sur la palette d’une érotique sanguine), et pour langue un parler apparemment paysan (ce qui n’est pas le cas). Et la pièce de David Harrower emmène, petit à petit, le lecteur et le spectateur dans un univers surprenant qui nous renvoie aux clairs-obscurs et aux tourments de l’âme humaine, dans un registre singulier où la poésie surgit dans la fange de l’étable, et qui mêlerait l’âpreté naturaliste d’un Franz-Xaver Kroetz au langage de l’insondable cher à Maurice Maeterlinck.
Philippe SIREUIL