OPéRA ROYAL DE WALLONIE

2010


Interprétation Marcel Arpots(Giudice), Anna Maria Chiuri (Ulrica), Jacques Daise (Servo) Aquiles Machado (Riccardo), Pietro Palazy (Samuel), Georges Petean (Renato), Arnaud Rouillon (Silvano), Chiara Taigi (Amelia), Yvan Thirion (Tom) Marina Zyatkova (Oscar).


Direction musicale

Massimo Zanetti



OPéRA DE LAUSANNE

2010


Interprétation Roberto Aronica  (Riccardo), Elisabeth Bailey (Oscar), Adriana Damato (Amelia), Jean-Raphael Lavandier (Giudice), Sacha Michon (Silvano), Francesco Palmieri (Samuel), Mariana Pentcheva (Ulrica), Georges Petean (Renato), Manrico Signorini (Tom), Pier-Yves Têtu (Servo).


Direction musicale

Stefano Ranzani


Décor Didier Payen

Costumes  Jorge Jara

Assistants à la mise en scène Caio Gaiarsa

Lumières et mise en scène 

Philippe Sireuil







 
  1. photo de Jacky Croisier ©

UN BALLO IN MASCHERA

de Guiseppe VERDI

LE BIJOU ET L’ECRIN

On ne met jamais en scène une œuvre, on ne met en scène que le rapport plus ou moins intime, plus ou moins nécessaire que l’on entretient avec elle. Le doute me sert de boussole - et les notes d’intention ou les explications a priori m’inquiètent - mais cette mienne affirmation ne s’est jamais démentie dans mon métier de metteur en scène, qu’il s’exerce au théâtre ou à l’opéra.

« Prima la musica e poi le parole » a-t-on écrit. Peu importe les mots, la musique suffira. L’affirmation comporte sa vérité - heureusement pour l’histoire de l’opéra sans quoi les œuvres à interpréter se chiffreraient à la dizaine, et non à la centaine -, mais elle ne suffit pas à « enclencher » mon travail. 

La faiblesse du livret d’Un ballo in maschera, son ancrage historique, sa double paternité - Eugène Scribe d’abord pour François Auber, puis Antonio Somma pour Giuseppe Verdi -, les incohérences qu’il recèle, dues soit aux conventions de l’époque (regrettées par Verdi lui-même*), soit aux dictats de la censure napolitaine, m’ont très longtemps fait hésiter sur le(s) chemin(s) à suivre pour m’approcher de l’œuvre, et la rendre à mes yeux « nécessaire » pour pouvoir la mettre en scène, tant son caractère composite me déconcertait.

Pour autant que l’on puisse considérer le legs du librettiste et du compositeur comme un bijou, mettre en scène un opéra revient de fait à trouver l’écrin le plus approprié au dit bijou, et je ne le trouvais pas. J’étais persuadé qu’il fallait que les entrelacs de la fable que tisse Un ballo in maschera - auquel Verdi avait préféré un titre plus explicite Una vendetta in domino refusé par la censure ** - entre politique et sentiment, tragique et légèreté, posture publique et comportement privé, soient à la fois dégagés de tout le fatras « historico-muséal » et replongés dans un effet de réel qui puisse faire sens et écho aux yeux du spectateur, mais je séchais…

Mon sésame vint de Renato, secrétaire de Riccardo et mari d’Amélia, ou plutôt de la mention que lui stipule le livret : créole. Ce détail, cette information somme toute bénigne, déclencha tout et m’aida à choisir un univers scénique qui puisse faire « fonctionner » la représentation qui avait affleuré à mon imaginaire, à l’instant où je lisais le mot créole, représentation qui prenait pour cadre les Etats-Unis dans les années soixante et les deux dernières journées d’un président charismatique, débonnaire et moraliste, en pleine campagne électorale, avant son assassinat. Par le biais de nos souvenirs d’enfance et de notre commune fréquentation du cinéma, les esquisses, dessins et maquettes du scénographe et du costumier prirent dès lors rapidement forme et renforcèrent, à nos yeux, la pertinence de mon intuition.

Nous ne cherchons pas, ce faisant, à imposer une lecture totalisante de l’œuvre, à l’actualiser, « à faire moderne » comme on le dit péjorativement, - et je méfie de la mise en scène car lorsqu’elle s’érige en système, ou quand elle colle une grille de lecture trop coercitive ou trop simpliste sur une partition et un livret, elle se caricature souvent elle-même -, mais bien à la « déplacer », pour qu’entre elle et le calque de la représentation se crée un espace où, par ricochet, le regard du spectateur puisse aussi se déplacer, et qu’il puisse y découvrir d’autres angles.

J’ai dit plus haut ma crainte des apriorismes. Elle s’étend aussi à la définition des rôles de la fable musicale (des personnages -, pour l’écrire comme je répugne à le dire), et au carcan du vraisemblable dans lequel on les enferme trop souvent. Du fait même de la nature première ou primitive  de l’expression lyrique, l’opéra est le lieu des situations et des caractères archétypaux, mais l’adjectif s’est frelaté et son voisin stéréotypé le phagocyte trop souvent.

Face à des chanteurs stimulés par pareille position, je tente donc, dans la fabrication des rôles et leur interprétation, de dire mes questions plutôt que mes réponses, de leur indiquer les chemins de traverse plutôt que les lignes droites, de les aider à débusquer les comportements simplistes et les attitudes usées, à lutter contre les traditions paresseuses, de telle manière à ce qu’entre les choix de l’écrin défini en amont et le jeu, il y ait une évidente complémentarité, où la seconde tire parti des premiers, les habite, les stimule, les bouscule même et leur conférer toute leur (im)pertinence.

Comme l’acteur au théâtre, le chanteur à l’opéra, est le vecteur du sens et de l’émotion. Sans son plaisir inquiet et son intérêt glouton, la coque esthétique de la représentation n’est alors bien souvent qu’une coquille vide.

Me reste à souhaiter qu’il n’en soit rien ici …


Philippe SIREUIL

10.09.2010


  1. *« Je suis en train d’adapter un drame français, Gustavo III di Svezia, une livret de Scribe monté à l’Opéra de Paris voici plus de vingt ans. C’est une œuvre ample, grandiose et belle mais qui comporte aussi toutes les conventions du genre, ce que j’ai toujours trouvé désagréable et que je considère comme insupportable. Je répète que j’en suis désolé mais il est trop tard pour dénicher un autre sujet, et de toute façon, je ne saurais plus où le chercher ». Guiseppe Verdi

**   Maudite censure : Rigoletto aurait du s’appeler La maledizione, et La traviata, Amore e morte.


  1. photo de Marc Vanappelghem ©

BALLO_%282%29.html
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