THÉÂTRE ROYAL DE LA MONNAIE

2008


Interprétation 

Muriel Delunsch (Antigone), Natascha Petrinsky (Hannah).


Direction musicale

Koen Kessels




Décor Vincent Lemaire

Vidéo Kurt Ralske

Costumes  Jorge Jara

Assistant à la mise en scène Caio Gaiarsa

Lumières et mise en scène 

Philippe Sireuil







 

La Lumière Antigone

de Pierre BARTHOLOMEE

PELLEAS_%282%29.html

La Lumière Antigone


« Non ». Elle a dit : « Non ». Seule, face à l’autorité injuste qui voulait livrer son frère aux griffes et becs acérés des vautours, elle s’est levée et elle a crié : « Non ». Et pour cet acte, la voici condamnée à mourir, recluse sous la roche, avec, pour seul compagnon, un manteau que le chef des sbires lui a jeté dans un vestige d’humanité, et trois torches qui bientôt s’éteindront, faute d’oxygène, et l’étoufferont de leurs fumées âcres.

Elle tombe, s’accroche, se relève, mais ses efforts sont vains. Elle dit : « Je suis Antigone ». Elle dit sa peur, ses luttes, le récit de sa vie : Jocaste, Ismène, Etéocle et Polynice. Elle dit qu’elle ne veut plus être défendue, elle, la mendiante qui a accompagné Œdipe sur la route, sœur et fille tout à la fois. Elle dit le tragique chemin de sa jeune vie qui bute dans ce cul-de-sac de rocaille et d’airain. Elle dit qu’elle ne sera jamais mère d’un petit enfant qui exigera tout d’elle. Elle est là, devant nous, spectateurs impuissants de son désastre.

« Qui nous parle avec sa vie sans jamais quitter la terre ? » Une femme s’est levée, rompant notre abattement et l’interpelle. « Qui es-tu ? » lui demande l’emmurée. - «Ta fille ». - « Je n’ai pas eu de fille » dit l’emmurée. - « Faisant la traversée des âges, tu as eu d’innombrables filles, et je suis celle d’aujourd’hui parmi les admirables sœurs dont l’amour t’a gardée en vie » répond la femme qui s’est levée. « Comment t’appelles-tu ? » ose l’emmurée. - « Hannah. » Elle ajoute : « Je suis actrice.  Je suis celle qui est là pour te dire et te chanter. » 

Regards. Gestes. Paroles. La fille d’aujourd’hui apprivoise la femme d’hier. L’actrice de maintenant parle à la double orpheline des mythes d’autrefois. Elle lui raconte l’histoire des hommes et de leurs folies, les villes en flammes, les vieillards assassins, le sang impur dans les sillons, les tours jumelles de fumées et d’images. Elle lui dit aussi les luttes, les espérances, la présence de la vie, toujours invaincue.

Puis Antigone s’efface, et le passé s’estompe, filigrane douloureux et serein à la fois, laissant à Hannah le soin de poursuivre.

Elle chante Antigone. Elle prend le relais de l’espérance et du refus. Elle dit non à la menace, au pouvoir et à ses violences.  Elle chante la lumière. Elle dit : « On peut changer la vie par le travail de la pensée et par la pensée des mains. »

Comme l’écrit Henry Bauchau ailleurs, Hannah est là aujourd’hui, devant nous, comme l’était hier Antigone, « pour, dans le champ du malheur, planter une objection ».


Philippe SIREUIL

13.03.2008